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Les guides de Saint-Jacques de Liège
25 février 2013

Le sculpteur Daniel Mauch (Ulm 1477-Liège 1540) et la décoration intérieure de l’église Saint-Jacques.

Le maître sculpteur d’Ulm (1502-1529).

Né en 1477 dans la ville impériale d’Ulm sur le Danube, Daniel Mauch y exerce durant 25 ans la profession de maître sculpteur.

La région d’Ulm conserve de l’artiste plusieurs retables en bois, sculptés dans le style réaliste et anecdotique qui caractérise le gothique finissant. Ces oeuvres témoignent d’une profonde maîtrise de l’art du portrait, de l’anatomie des figures et de leur mise en scène complexe mais parfaitement structurée ; l’artiste a le souci du détail : chevelures, barbes et costumes présentent un grand raffinement. L’intérêt de Mauch pour la Renaissance apparaît dans la décoration secondaire où il introduit discrètement putti, cornes d’abondance, colonnes à l’antique…

Après 1520, son style s’épure : il abandonne le traitement du vêtement en grands plis complexes, cassés en « épingle à cheveux », pour un drapé en longs plis parallèles « à l’antique » cernant de plus larges surfaces qui mettent davantage en évidence le volume des corps ; ses compositions tendent vers plus de clarté. Son travail se ressent de l’influence des courants nouveaux représentés par Lucas Cranach et les artistes italiens de la Renaissance qu’il appréhende vraisemblablement à travers les recueils de gravures mais son interprétation reste très personnelle.

Sa carrière est bousculée par la crise religieuse qui secoue l’empire depuis 1517 et engendre troubles sociaux et politiques, un climat peu propice aux commandes artistiques, d’autant que le culte des images est remis en question par les mouvements réformés. À partir de 1524, le Luthéranisme s’implante progressivement à Ulm et, en novembre 1530, à la suite d’un référendum où 87% de la population se déclare favorable, la ville passe du côté luthérien ; l’année suivante, les images sont retirées des lieux de culte.

Daniel Mauch n’avait pas attendu ; en juin 1529 il avait demandé et obtenu des autorités urbaines l’autorisation de quitter durant 5 ans sa ville natale, pour raisons professionnelles. On peut donc supposer qu’à cette date, il est pressenti pour le chantier de l’église Saint-Jacques. Comment a-t-il obtenu ce contrat dans une lointaine ville du Nord, lui qui ne semble jamais s’être éloigné d’Ulm ? Deux hypothèses sont avancées : un éventuel contact avec Erard de la Marck, lors d’un voyage de celui-ci dans la région d’Augsbourg mais, plus vraisemblablement, le réseau de relations de son fils Daniel (1504-1567), ancien étudiant de l’université de Cologne, avec les milieux intellectuels humanistes et de hauts dignitaires ecclésiastiques comme l’envoyé du pape Lorenzo Campegii et le futur prince-évêque de Liège Georges d’Autriche.

Le séjour liégeois (1530-1540).

Lorsque le sculpteur Daniel Mauch arrive sur le chantier de construction de l’église Saint-Jacques, seuls le chœur et le transept sont érigés et l’abbé Jean de Coronmeuse, l’initiateur du projet, est décédé depuis 4 ans. Son successeur, Nicolas Balis (1525-1555) est occupé à la construction des nefs.

Pour le sculpteur immigré, le défi est de taille d’autant qu’on ne lui connaît aucune œuvre sculptée sur pierre avant son arrivée à Liège. Les archives sont muettes quant au rôle exact de l’artiste sur le chantier de Saint-Jacques. Est-il le maître d’œuvre ? Le concepteur des modèles ? Un artisan parmi d’autres ? D’autres sculpteurs ulmois l’ont-ils suivi en exil ?

L’abondante décoration intérieure de la nouvelle église ne peut être que l’œuvre d’une équipe de sculpteurs. Si l’ensemble est harmonieux, à l’examen, au moins deux tendances stylistiques se retrouvent dans la conception des figures. A rapprocher des portraits en relief des clefs de voûte de la grande nef, les figures d’apôtres trapues et stylisées de l’ancien jubé de 1538 (aujourd’hui sous la tribune d’orgue) contrastent avec le réalisme et les détails minutieux des bustes-consoles des nefs latérales et des têtes sculptées de la grande nef. Les historiennes de l’art Suzanne Wagini et Eva Leistenschneider sont enclines à attribuer l’ensemble de la décoration de Saint-Jacques au seul Daniel Mauch sous prétexte que le style des apôtres marque l’aboutissement de la démarche de l’artiste perceptible après 1520. Mais la facture des œuvres sur bois réalisées durant la période liégeoises, comme la Vierge de Berselius, apparaît tellement différente qu’il est difficile d’admettre que le même homme saute, dans le même laps de temps, d’un style à l’autre. Avec Martin Hirsch (2009), nous attribuerons prudemment à Daniel Mauch les œuvres qui évoquent nettement le style de sa production ulmoise :

Dans la nef principale : dans les écoinçons des arcades les têtes en relief de 24 personnages bibliques qui se présentent comme autant de portraits différents.

Le buste d’Isaïe ornant la base de l’ambon du jubé de 1538 (actuellement placé sous l’orgue), le bas-relief illustrant le massacre desinnocents (console du buste d’Isaïe) et peut-être le décor de putti.

Dans la nef latérale Sud : les bustes de personnages bibliques, pré-figures du Christ et peut-être le décor des chapiteaux et des consoles qu’ils supportent et dans lesquelles ils s’imbriquent. C’est-à-dire, à partir du fond : Jonas, le prophète Zacharie, Samson, le prêtre Aaron. Dans la nef latérale Nord, les bustes du prophète Isaïe, de Jean-Baptiste et de son père Zacharie seraient, selon Martin Hirsch, l’œuvre d’un autre artiste travaillant à partir d’un modèle de Mauch (Martin Hirsch).

Les autres œuvres de la période liégeoise.

À côté de la sculpture sur pierre de l’église Saint-Jacques, Daniel Mauch pratique son matériau de prédilection : le bois. Les statues en pendentif de la voûte sont-elles de sa main ? On conserve de lui plusieurs madones dont la célèbre Vierge à l’enfant qu’il sculpte pour le moine bénédictin de Saint-Laurent Pascal de Bierset dit Berselius (entre 1530 et 1535). Les figures des déesses antiques, de Lucrèce ou d’Adam et Eve lui donnent prétexte à réaliser, selon un canon de proportions qui lui est propre, de superbes nus qui témoignent de sa maîtrise technique.

Daniel Mauch meurt en 1540, quelques mois après son épouse. Ils seront enterrés dans l’encloître de l’abbaye. Rédigée par leur fils, leur épitaphe peut se traduire librement: « Aux époux Daniel Mauch et Rosa Stockerin. Chassés par les hérétiques du foyer paternel, et, après avoir, dans un exil volontaire, séjourné dans cette ville des Eburons, l’un et l’autre, à quatre mois d’intervalle, ont émigré vers une autre patrie. Leur fils unique Daniel, accablé de chagrin, a posé cette épitaphe en l’honneur des meilleurs et des plus doux des parents. Daniel a vécu 63 ans, Rosa 57. Ils furent unis par le mariage durant 37 ans. Elle est morte le 1er juillet et lui le 16 décembre de l’année 1540 ».

Le bas de la pierre tombale sert aujourd’hui de marche à l’escalier de la tour !

Anne Godinas

 

Principaux ouvrages concernant le sculpteur Daniel Mauch :

-Martin HIRSCH, Ein neuer Myron. Daniel Mauch in Lüttich, dans Daniel Mauch, Bildhauer im Zeialter der Reformation, Ulm, 2009, p.76-85.

-Eva LEISTENSCHNEIDER, Zeitenwende : Leben und Werk Daniel Mauchs, dans Daniel Mauch, Bildhauer im Zeitalter der Reformation, Ulm, 2009, p.14-27.

-Susanne WAGINI, Der ulmer Bildschnitzer Daniel Mauch (1477-1540), Ulm, 1995.

Document en PDF: Daniel_Mauch

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