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Les guides de Saint-Jacques de Liège
7 avril 2013

Sécularisation de l"abbaye Saint-Jacques

Sécularisation de l’abbaye St Jacques Jean Van Ham

 Généralités

 Il est, dans la nature humaine d’être sujette à une alternance de grandeur et de décadence. L’ordre monastique n’échappe pas à cette loi et, à des périodes de prospérité, succèdent parfois celles de « vaches maigres ».

Les causes en sont souvent les mêmes : outre les malheurs des temps, les guerres et les calamités publiques ruinent la discipline. L’introduction dans les monastères de jeunes gens sans vocation, appartenant à des familles nobles qui cherchaient ainsi à faire à leurs fils une position honorables et facile, y contribue largement. On y ajoutera les taxes et impôts qui pesaient sur les monastères, l’immixtion du pouvoir civil dans l’élection abbatiale, le trésor public qui pèse sur les monastères  qui deviennent des exploitations au profit de l’état. 

 Depuis la fin du XIIème siècle, dans certaines maisons religieuses, les intérêts séculiers et les préoccupations économiques prennent le pas sur l’idéal religieux. Elle deviennent l’apanage de la noblesse qui, elle-même, décimée par les guerres, ne peut plus fournir un nombre suffisant de religieux. La Vie religieuse tarit en proportion des éléments séculiers introduits. Les revenus sont partagés en prébendes d’autant plus importantes qu’il y a moins de prébendiers, et la vie commune perd de son sens. Les bâtiments tombent en ruine et le patrimoine est dissipé.

 Au fond, partout, c’est l’intérêt matériel qui prime sur l’idéal religieux. Les évêques, patrons de la noblesse, et Rome,  ne pouvaient enrayer la vague et la sécularisation régularisait toutes ces situations.

 Au XIVème siècle, la création de nouveaux évêchés dont certains monastères devinrent des chapitres cathédraux, eut pour résultat d’affaiblir graduellement l’esprit monastique. Le recrutement de vocations devenait plus difficile et plus intéressé.  Les grandes crises religieuses et sociales ont été accompagnées d’un fléchissement de la morale et de la discipline. En Allemagne, on vit  un certain nombre d’abbayes abandonner une règle devenue lettre morte depuis longtemps. En 1419, l’abbaye St Alban de Mayence obtient sa sécularisation le 16 août. Elle fut suivie par quelques autres.

 Le même phénomène se produisit en France au sortir de la guerre de cent ans et au cours de la révolution religieuse du XVIème siècle : Luçon, St Flour, Tulle, Montauban et encore d’autres se sécularisèrent les unes à la suite des autres. En Lorraine, des moniales avaient été transformées en Chanoinesses avant 1453. St Bavon, à Gand, fut érigé en chapitre cathédral en 1536.

 En 1693, les nobles du pays de Liege proposaient à Rome de convertir les moniales des abbayes de Val Notre-Dame et d’Herckenrode en chapitres nobles.

En 1693 également, le nonce de Cologne avait signalé à Rome une tentative faite par les religieuses de Robermont pour transformer cette abbaye cistercienne en un chapitre de Dames nobles.

 La Belgique possédait de nombreux et puissants monastères : St-Jacques et St Laurent à Liège, St Hubert, Gembloux, Stavelot, Florennes, St Trond, St Bavon à Gand, St Martin de Tournai, St Ghislain, et bien d’autres encore. L’évêque Englebert de la Marck en faisait l’éloge en 1351.

L’abbaye de St Jacques jouissait d’une excellente réputation. Elle fut un foyer de réformes pour les abbayes de St Laurent, de Florennes, Stavelot, Gembloux et St Paul d’Utrecht.

 Des essais de réforme furent tentés à cette époque. La réunion des chapitres provinciaux avait été le moyen proposé par le Saint Siège pour la restauration de l’ordre bénédictin. Une bulle de Benoit XII, communément appelée « la bénédictine », réglait la tenue de ces chapîtres.

 Au début du XVème siècle, l’abbaye de St Jacques prête son concours à l’abbé de St Mathias de Trèves, Jean de Rode, initiateur et propagateur de la réforme bénédictine qui devait aboutir à la création de la célèbre Union de Bursfeld, qui consiste en un regroupement des abbayes sous une règle commune, et que l’on connaît aussi sous le vocable de « congrégation de Bursfeld ».  

Depuis le XIIIème siècle, la discipline s’était maintenue à l’abbaye de St Jacques. Elle était dirigée à ce moment par l’abbé Renier de Ste Marguerite et possédait un Cérémonial particulier et des coutumes propres.

A la demande de Jean de Rode, 4 moines liégeois furent envoyés à Trèves et y apportèrent le coutumier et le cérémonial de leur abbaye. Ces documents aidèrent l’abbé Jean de Rode dans la rédaction de ses constitutions.

 Les monastères belges ressortissaient aux deux provinces monastiques de Reims-Sens et de Cologne-Trèves. Les chapitres de ces deux provinces se tinrent régulièrement à partir de la publication de « la Bénédictine ».

 En 1351, l’évêque de Liege, Englebert de la Marck, faisait l’éloge du monastère de St Jacques.

En 1401, la peste, qui fit plus de 12.000 victimes, emporte l’abbé de St Jacques et 12 moines.

En 1420, l’abbé de St Jacques envoya quelques uns de ses moines à l’abbaye de St Laurent, afin d’aider l’abbé à introduire la réforme dans son monastère. 

 Le monastère de St Jacques, comme les autres abbayes du pays de Liege, en s’affiliant à la  congrégation de Bursfeld,  pourrait trouver un moyen de s’affermir. Mais les princes-évêques de Liège voyaient d’un mauvais œil toute immixtion des supérieurs de l’ordre, et de ce fait,  interdirent aux abbés liégeois la fréquentation des chapitres de la province de Cologne-Trèves et refusèrent aux visiteurs nommés par ces chapitres, l’autorisation de procéder à la visite des abbayes.

 En 1440, l’abbé de St Jacques, Roger de Bloemendael ne voulut pas accepter la décision prise d’organiser la réunion des chapitres dans son abbaye, sans avoir consulté l’évêque de Liege. Celui-ci refusa d’accueillir les visiteurs étrangers nommés par le Concile. Mis dans l’impossibilité de se réunir à Liège, les abbés de cette province tinrent leur chapitre à Trèves.

 Les monastères liégeois s’étaient réformés peu à peu sous l’influence de l’abbaye de St Jacques.

Les nonces de Cologne essayèrent de former une congrégation liégeoise. L’abbaye de St Jacques y fit opposition dans la crainte que cela ne mit un terme à l’indépendance des religieux.

 De plus, l’évêque de Liège s’y était opposé craignant de perdre ses droits de juridiction sur les monastères de son diocèse. 

 Vers la sécularisation…

Le XVIIIème siècle est celui de la paix et de la joie de vivre : le raffinement et le bien-être sont à l’ordre du jour et ceci  exerce une influence dans les abbayes. Le naturalisme pénètre les cloîtres étouffant la vocation religieuse. Les logements des moines sont commodes, les bâtiments sont propres et riants, l’air est sain, la vie agréable, il y fait bon vivre. S’ensuit une nouvelle vague de sécularisations : à Vienne, à Marseille, Lure, Murbach…  

 A St Jacques, vers le milieu du XVIIIème siècle, on perçoit un relâchement dans l’observance de la règle.

 L’abbatiat de Pierre Renotte contribua à enlever à l’église, ses beautés architecturales. Il enleva ou cacha les ornementations. Les fresques disparurent sous un épais badigeon. Les chapelles latérales du chœur furent dissimulées sous un lambris de bois. Il transforma même le pavage de l’édifice et sacrifia plusieurs pierres sépulchrales.

Toutes ces dégradations, cet absence de respect pour les choses d’autrefois, ce mépris du passé indiquaient une transformation dans l’esprit de la communauté.

 La mort de l’abbé Renotte en 1763 fournissait aux religieux de St Jacques, l’occasion de régulariser leur situation. La vie commune était loin d’être parfaite et le pécule existait, avec l’approbation des supérieurs. De son vivant déjà, une partie des religieux  songeait à secouer le joug qui pesait à leurs épaules. Fatigués de la vie monastique, ceux-ci profitèrent du temps écoulé entre le décès de l’abbé Renotte et la nomination de son successeur.

 lls réussirent à imposer au nouvel abbé la promesse de s’employer à transformer l’abbaye Saint-Jacques en un chapitre de chanoines. Dès 1769/1770, des démarches sont entreprises auprès du pape pour obtenir la sécularisation.

 Des protestations se firent entendre à l’encontre des religieux de St Jacques. Elle provenaient du sein de l’ordre bénédictin lui-même, ainsi que du prince abbé de Stavelot. La Sacrée congrégation des évêques et réguliers demanda au commissaire apostolique, c'est-à-dire le Vicaire Général de Liege, la raison de cette opposition. Le prince-évêque rappelait que Liège comptait un nombre suffisant de collégiales.

 L’abbé de Stavelot rappela que l’abbaye de St Jacques s’était toujours distinguée par son observance et qu’elle avait été un centre de réformes. Ce n’est qu’après le décès de l’abbé Renotte qu’on vit subitement les religieux manifester leur désir de changement. Après avoir juré d’observer la règle de St Benoit, ils veulent en secouer le joug. Et le prince-évêque de Stavelot argumente encore en signalant qu’ils veulent « transformer leur monastère en collégiale, et de mauvais moines, devenir des chanoines encore moins bon. »

La demande introduite fut donc écartée par le pape Clément XIV. Mais les partisans de la sécularisation revinrent à la charge auprès du légat du pape. Ils n’eurent pas plus de succès.

 De 1771 à 1785, la vie à St Jacques est mal connue, mais il est certain que des tractations ont continué secrètement. Certains liégeois voulurent tirer parti de cette tendance à la sécularisation.

 En 1773, le bourgmestre de Liege, de Heusy, proposait de convertir St Jacques en séminaire et de répartir ses revenus entre les hopitaux. Ce projet resta aussi lettre morte. Mais les moines ne se décourageaient point.

L’évêque de Liège, Constantin de Hoensbroeck, supplie Rome d’ériger St Jacques en collégiale.

Parlant des moines, il argumente : « ils ne rendent aucun service à l’Eglise, ne confessent pas les fidèles, ne donnent pas le catéchisme, ne prêchent pas. Dans les collégiales, au contraire, on donne très souvent des sermons au peuple. » L’évêque se porte ainsi garant de l’utilité de cette transformation.

 Il semble bien que la sécularisation de St Jacques était devenue inéluctable et que ce n’était plus qu’une question de temps.

 Le 8 mars 1781, les moines élisent leur sous-prieur Augustin-Lambert Renardy à la tête de l’abbaye.

 Un projet de sécularisation en 27 articles est rédigé en février 1785 : privilèges égaux aux autres collégiales, 22 canonicats attribués aux moines, un canonicat vacant maintenu pour utiliser les revenus à la construction des habitations du doyen et des chanoines, les moines sont déliés de leurs vœux de religion, excepté celui de chasteté, les chanoines ne sont plus astreints à des jeûnes ni abstinences particulières, etc…

 Le 1er juin 1785, Pie VI accordait la sécularisation tout en rappelant au prince-évêque que le changement de l’abbatiale en collégiale aurait pour effet d’augmenter la splendeur du culte et du clergé. Il rappelle cependant la demande présentée par les 23 moines, dont il cite les noms, pour l’érection de l’église du monastère en collégiale  séculière, sous le vocable de St-Jacques apôtre, dit le Mineur, et pour l’union des biens du monastère à la collégiale. La bulle reconnaissait également qu’une grande partie des bâtiments de l’abbaye seraient démolis pour être remplacés par des maisons claustrales, au frais du chapitre. Elle prévoyait également la construction d’un « quartier décent » pour l’abbé. Par la suite, on assignera au doyen une habitation convenable dans l’ancien quartier de l’abbé.

 L’abbaye était donc transformée en collégiale, tout en gardant tous ses biens et privilèges. Les anciens moines étaient dispensés de l’obligation de porter l’habit religieux ainsi que de leurs vœux, sauf celui de chasteté. Ils devaient se conformer à l’office du clergé séculier. Par ailleurs, ils pouvaient disposer des biens acquis après la sécularisation.

 L’évêque effectua la sécularisation le 15 juin, confirmée le 31 juillet par l’empereur Joseph II.

Le 1er décembre de la même année, le doyen et le chapitre de St Jacques rédigèrent les statuts de la nouvelle corporation. Le 21 janvier 1786, 4 chanoines furent délégués auprès du prince-évêque pour en obtenir l’approbation.

 Le 27 juin 1786, 5 chanoines anciens religieux de l’abbaye St-Gilles, elle-même sécularisée,  furent adjoints au chapitre de St-Jacques. Les revenus de St-Gilles furent ajoutés à ceux de St-Jacques.

 A peine la collégiale installée, un mouvement de protestation s’élève entre ses membres.

 L’abbaye de St Jacques possédait une riche collection de manuscrits. La vente de la bibliothèque fut décidée pour le 3 mars 1788. Un catalogue en fut dressé et distribué depuis déjà novembre 1787 afin d’attirer le plus d’acheteurs possible. Le nonce de Cologne avait été mis au courant et avait prévenu Rome. Le pape donna des indications précises au nonce afin de faire l’acquisition d’un certain nombre de volumes.

La vente, commencée le 3 mars 1788, dura 15 jours.

 Le monastère à son tour devait disparaître. L’église, transformée en collégiale, avait toujours sa raison d’être. Mais en 1793, on vendit l’argenterie

 Quelques années après la sécularisation, le chapitre de St Jacques était entraîné dans la tourmente de la Révolution. La Révolution Française ferma l’église en 1798 tandis que les anciens cloîtres étaient occupés par les armées républicaines.

 En conclusion, voici les réflexions faites par Dom Ursmer Berlière à propos de cette sécularisation, dans sa relation du projet de congrégation liégeoise dans la Revue Bénédictine :

« Tandis que St-Laurent de Liége et Florennes se maintenaient dans un état satisfaisant, St-Hubert conservait l'observance de Lorraine et St-Jacques de Liége déclinait graduellement. Si on avait suivi les conseils donnés au nonce Visconti, on aurait évité toutes ces divisions qui éclatèrent à St-Hubert et se perpétuèrent à travers le XVIIIe siècle; on aurait empêché cette scandaleuse sécularisation de l'abbaye de St-Jacques de Liége, terme fatal d'une décadence qui s'accusait déjà au XVIIe siècle. Il y eut des protestations au sein de l'Ordre,mais que pouvait une voix isolée contre le courant mondain qui entraînait les hautes sphères ecclésiastiques de Liége ? Que pouvaient les gens de bien contre les influences qui favorisaient ces sécularisations, où l'on entraînait St-Jacques et St-Gilles de Liége, St-Remy près de Rochefort, où l'on voulait compromettre Robermont, Val-Notre-Dame, Herckenrode, qui demandaient de supprimer les Croisiers de Liége, et répandaient le faux bruit d'une demande de sécularisation à St-Trond comme pour préparer les esprits à cette regrettable éventualité ? L'union eût pu sauver les monastères sans entraver leur autonomie ; l'isolement dans l'indépendance fut la cause de leur ruine. »

 

 Documents utilisés :

Ursmer Berlière : sécularisation de St Jacques (1785) in Revue Bénédictine T 33 1921 et T 34 1922

Le même : revue bénédictine  T XVI

Le même: l’Ordre bénédictin en Belgique : réformes des XVe et XVIe siècles – revue             bénédictine T XI – 1894

Le même : Lers chapitres généraux se l’ordre de St Benoit dans la province de Cologne-Trèves.        – Bulletin de la commission royale d’histoire – 5ème série – T X – 1900

Le même, dans la Revue Bénédictine tome 27 - 1910

Gobert – Les rues de Liège

André Lebrun : L’abbaye St Jacques in Léodium T 59/1972

Dossier en PDF:S_cularisation_de_St_Jacques

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